Réflexion sur les supports de lecture

Words OnscreenLe livre électronique, et plus généralement la dématérialisation de ce que nous écrivons et lisons, sont au centre de nombreux débats ces temps-ci. Voici de quoi alimenter le dialogue, le livre Words Onscreen: The Fate of Reading in a Digital World de Naomi Baron, professeure de linguistique et directrice générale du Center for Teaching, Research & Learning de l’American University de Washington, publié en décembre dernier sur support papier et électronique.

Novembre 2007, la société Amazon lance sur le marché américain la première version de sa liseuse Kindle, et étendra après deux ans son marché à une centaine de pays. Certains modèles de liseuses avaient déjà vu le jour, sans trop de succès, mais Amazon réussissait l’intégration verticale en proposant le contenant Kindle dont la technologie était supérieure, conjugué à des contenus facilement accessibles et à prix abordables grâce à la machine commerciale et promotionnelle d’Amazon.

Trois ans plus tard arrive l’iPad. Apple n’entendait pas remplacer ou concurrencer les liseuses, mais les utilisateurs ont vite commencé à télécharger et à lire sur tablette, élargissant ainsi le marché du livre électronique. Vient ensuite la déferlante des téléphones intelligents qui, pour bon nombre, en plus d’être des outils de communication et d’applications, sont des interfaces de lecture.

Au fil de ses recherches, Naomi Baron s’est étonnée de certaines distinctions entre les marchés dits « nationaux » du livre électronique qui seraient relativement diversifiés. Selon les résultats d’une étude de Bowker Market Research (2012), 20 % des personnes branchées à Internet aux États-Unis avaient, au cours des six derniers mois, acheté un livre électronique (8 % au Japon, 5 % en France). On serait loin, selon Bowker, d’un marché homogène. Par exemple, les ouvrages de fiction seraient les meilleurs vendeurs aux États-Unis, au Royaume-Uni, en France et en Allemagne. En revanche, pour ce qui est de l’Inde, du Brésil et de la Corée du Sud, les propriétaires de liseuses en tous genres optent surtout pour des ouvrages sur le commerce, les affaires ou les secteurs professionnels.

Baron aborde une question rarement évoquée par les meneurs de claque du livre électronique, soit celle du bilan environnemental de la fabrication des liseuses. Elle cite à cet égard un article du New York Times, « < How Green Is My iPad? » paru en 2010.

Ceux et celles qui en prêchent les vertus feront valoir que la lecture sur support électronique est plus respectueuse de l’environnement, car elle épargne nos forêts. Bien qu’il y ait faille dans son argumentaire (j’y reviendrai), les données sont cependant bonnes à connaître.

La production d’une liseuse nécessite 16,5 kilos de minéraux comparativement à 0,3 kilo pour l’impression d’un livre. Parmi ces minéraux on compte des métaux rares comme le colombo-tantalite, souvent extrait dans des pays du continent africain et dont les profits d’exploitation viennent gonfler les coffres de factions guerrières. Sur le plan énergétique, la fabrication d’une liseuse entraînera la consommation de 100 kilowattheures d’énergie fossile et la production d’une trentaine de kilos de CO2. Dans le cas d’un livre papier, on parle de 2 kilowattheures et de 100 fois moins de gaz à effet de serre. Le recyclage des liseuses pour récupérer les métaux précieux se fait souvent dans des pays aux économies précaires et par des enfants qui s’exposent aux toxines des solvants. L’impact environnemental d’un livre papier destiné à un site d’enfouissement (la pire des solutions) sera environ le double de celui de sa fabrication.

Ce qui m’a un peu agacé de cet exposé sur le cycle de vie des liseuses (qui s’étend sur quelques pages du livre de Baron) est que l’on tente de comparer le poids environnemental d’une liseuse à celui d’un livre papier. C’est hors de proportion. Serait-ce dire que, par exemple, que si je lis 50 livres sur ma liseuse j’aurai atteint un point de rédemption environnemental? Et encore faudrait-il introduire dans nos calculs l’infrastructure de serveurs sur laquelle repose la mise en marché des livres électroniques et tant d’autres choses. Déjà, toutes applications confondues, et à l’échelle de la planète, la consommation en électricité des centres de stockage de données atteint 30 milliards de watts, soit environ la production d’une trentaine de centrales nucléaires. Les serveurs de Google consomment près de 300 millions de watts, ceux de Facebook environ 60 millions de watts (voir l’article de James Glanz dans le New York Times, 23 septembre 2012).

L’auteur constate aussi que la lecture, d’une expérience à la base solitaire est devenue une expérience sociale et de partage grâce à Internet, et se penche sur les raisons pour lesquelles la lecture de livres électroniques a suscité un fort engouement aux États-Unis et en Grande-Bretagne, mais attire moins les clientèles françaises ou japonaises.

Words Onscreen: The Fate of Reading in a Digital World est très riche en observations et en analyses comparatives dans le domaine jusqu’à présent peu exploré de l’effet et des incidences autres qu’économiques du livre électronique. Malheureusement, l’auteure ne fait aucune mention de deux éléments qu’il me semble essentiel de traiter dès que l’on aborde le sujet, soit la gestion des droits numériques (Digital Rights Management, DRM) et l’interopérabilité entre les plateformes d’édition diffusion.

J’achète un livre papier, j’en deviens le propriétaire et je peux en disposer à ma guise. Je peux bien sûr le lire, l’offrir en cadeau, lui réserver une place sur une de mes étagères, le revendre ou l’échanger en bouquinerie, etc. Or, avec le livre électronique, je suis davantage locataire de l’œuvre car la structure des DRM me prive du plaisir de partager ou d’offrir le livre.

Quant à l’interopérabilité, ou à son absence, c’est là une des plus grandes failles de tout le système d’édition numérique. On dirait que l’industrie n’a rien appris des querelles de chapelle Mac/PC, ou pour ceux de ma génération VHS/Betamax.

Naomi Baron, ancienne boursière Guggenheim et Fulbright, est aussi l’auteure de Always On: Language in an Online and Mobile World (2010). Dans cet essai, Baron y soumet que notre culture de l’écrit, vieille de trois siècles, est en train de se redéfinir. Elle se dit aussi préoccupée par les nombreuses astuces auxquelles nous avons recours pour filtrer des textos, pour nous dissimuler dans les méandres de Facebook, pour activer l’identification des appelants et bloquer certains correspondants sur nos téléphones fixes ou mobiles. Elle soutient que cette capacité de déterminer à qui nous parlerons (ou déciderons de ne pas parler) est l’incidence la plus lourde des technologies de l’information sur la façon dont nous communiquons.

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Des canicules : retour sur Chicago en 1995

Une canicule est une période de grande chaleur associée à la constellation du Grand Chien, quand l’étoile Sirius se lève et se couche avec le soleil, du 24 juillet au 24 août. Ce sont les jours de la canicule, canicularis dies. En anglais on parle de cette période comme les dog days of Summer (les jours du chien), expression immortalisée dans un film de Sidney Lumet en 1975, Dog Day Afternoon, dont l’action se déroule par une journée torride. La traduction du titre en français, Un après-midi de chien, a malheureusement détourné le sens de l’expression.

Depuis quelques années, les épisodes caniculaires se font plus précoces dans l’année et fréquents. Par exemple, ces jours-ci, le sud de l’Europe est aux prises avec une canicule et les gouvernements de France, d’Espagne, d’Italie et du Portugal mettent en œuvre les plans d’intervention pour éviter une reprise de l’hécatombe de 2003. Pour rappel, la canicule européenne cette année-là aurait fait entre 30 000 et 40 000 morts.

Chicago, 1995. Le mercredi 12 juillet, le Chicago Sun-Times publie un court article, relégué en page 3, sur l’imminence d’une vague de chaleur qui pourrait s’avérer mortelle (Heat Wave on the Way – And It Can Be a Killer). HeatwaveOn annonce également que les taux d’ozone et d’humidité seront élevés, et que l’indice de chaleur (température ressentie) pourrait atteindre les 49C. Le lendemain, le mercure atteint les 40C, et l’indice de chaleur (humidex) 53C. Au cours des cinq jours qui suivent, on dénombrera plus de 700 morts attribuables à la chaleur. Cette vague de chaleur mortelle est l’objet du livre du sociologue Eric Klinenberg, Heat Wave: A Social Autopsy of Disaster in Chicago. Plusieurs éléments du livre le distinguent d’autres ouvrages du genre, à commencer par cette notion de «post-mortem social» d’une tragédie urbaine. L’auteur rappelle qu’à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, des scientifiques comme Rudolph Virchow et William Osler ont lutté pour légitimer et institutionnaliser l’autopsie pour déterminer la cause de décès dans le but d’accroître l’efficacité du traitement médical. Klinenberg adapte donc le modèle à l’étude de la canicule mortelle de Chicago en 1995. Il écrit : «Comme c’est le cas pour toutes les autopsies, cet examen de la vague de chaleur de 1995 tient l’espoir qu’en étudiant la mort on comprenne davantage la vie, et aussi les façons de la protéger.»

Ce qui ressort dans plusieurs chapitres de ce livre est que la principale vulnérabilité des victimes était leur isolement social. Les études épidémiologiques sur la vague de chaleur ont clairement établi un lien entre l’isolement et la mortalité, et les commissions politiques qui ont enquêté sur la tragédie sont arrivées à cet égard à deux conclusions principales. D’une part, de plus en plus de personnes âgées aux États-Unis vivent seul (ce qui est confirmée par les données du Bureau des recensements). D’autre part, la majorité de ces personnes qui vivent seul sont fières de cette autonomie et s’abstiennent de demander ou d’accepter quelconque aide parce qu’elle compromettrait leur identité comme personnes auto-suffisantes.

Klinenberg ne réfute pas ces deux constatations, mais soumet qu’elles n’expliquent pas complètement pourquoi tant de victimes de la canicule étaient des personnes qui habitaient seul. Dans un de ses chapitres, il explore quatre tendances qui contribuent à la vulnérabilité comme groupe des personnes âgées (et souvent démunies) aux États-Unis, tendances qu’on retrouve aussi dans la plupart des sociétés industrialisées.

D’abord le poids démographique croissant de cette tranche de la population. Ensuite, une culture de la peur, de la crainte de la violence réelle ou perçue dans l’entourage conjuguée à la valorisation de l’individualisme et de l’auto-suffisance. Aussi, une transformation de l’espace marquée par la dégradation, la fortification ou la disparition d’espaces publics sûrs. Enfin, une condition liée au genre qui affecterait surtout les hommes sans enfants et aux prises avec des problèmes de consommation d’alcool ou de drogues.

Sur ce dernier point, Klinenberg en arrive à un constat inattendu. Il écrit : «Le paradoxe selon lequel les femmes âgées sont plus susceptibles que les hommes de vivre seul, mais beaucoup moins susceptibles d’avoir rompu des liens sociaux, apparaît dans toute sa clarté à l’examen des dossiers des personnes décédées. J’ai trouvé les dossiers de 56 personnes dont les corps n’avaient pas été réclamés à la morgue et avaient été inhumés aux frais des autorités de comtés ou de l’État. Or, 44 d’entre eux, environ 80 %, étaient des hommes, un indicateur probant que les hommes ont souffert de manière disproportionnée des conséquences de l’isolement social au cours de la crise.»

Selon Klinenberg, les hommes qui atteignent la vieillesse ont plus de difficulté que les femmes à entretenir des liens sociaux, héritage de l’éducation reçue et de la vie adulte des personnes de cette tranche d’âge. Alors que les hommes se définissent souvent en fonction de leur milieu de travail et des liens qui s’y tissent, les femmes tissent des réseaux de contacts plus élaborés et fertiles qu’ils maintiennent une fois la vieillesse atteinte. Pour les hommes, la rupture avec leur milieu de travail se solde souvent par un repli sur soi et un isolement qui, en situation de crise comme la canicule de 1995 à Chicago, augmente le taux de mortalité de cette catégorie de la population.

Heat Wave comporte aussi un chapitre fort pertinent sur le rôle que les médias ont joué durant la canicule de 1995 à Chicago, et sur le fonctionnement de la «machine médiatique». Par exemple, le samedi 15 juillet fut la journée la plus mortelle de la canicule de Chicago, on dénombra alors quelque 300 victimes. Les fins de semaine, les journaux fonctionnent avec un effectif réduit, ce sont principalement des reporters généralistes, des stagiaires ou des journalistes à contrat de durée déterminée (les one-years dans le jargon) qui s’affairent dans les salles de rédaction.

Un journal comme le Chicago Tribune n’avait donc pas à sa disposition un journaliste scientifique pour traiter du phénomène d’inversion thermique et des autres facteurs météorologiques qui étaient responsables de la canicule. Les journalistes dont l’affectation principale était les services publics (police, incendie, ambulances, bureau du coroner, morgue, etc.) étaient également en congé, tout comme ceux affectés à l’hôtel de ville et à la politique municipale. Faute de ces spécialistes, il était donc difficile pour le journal d’avoir une idée précise de l’ampleur de la tragédie qui se déroulait, et de la réaction des services publics.

Klinenberg décrit aussi une discussion houleuse dans une salle de rédaction de chaîne de télévision au sujet de l’importance à donner à l’événement. Devait-on amorcer le bulletin de nouvelles avec le chroniqueur météo? Fallait-il prendre l’antenne en direct dès qu’un développement survenait? Fallait-il produire des reportages à dimension humaine (human interest stories) ou encore enclencher en mode catastrophe et se transformer, ne fut-ce que pour quelques jours, en télévision de service public.

La chaleur se résorba, la ville compta ses morts, les politiciens déclinèrent toute responsabilité. Deux semaines après, une nouvelle vague de chaleur envahit la ville, plus courte et moins extrême que la première. La température atteignit 35 degrés, et l’indice de chaleur 40 degrés. Les mêmes politiciens qui avaient déclaré n’avoir rien pu faire pour éviter la première tragédie ordonnèrent des interventions immédiates. Une population déjà sensibilisée aux précautions à prendre en cas de chaleur accablante sembla s’accommoder sans trop de difficulté. On ne dénombra au cours de ce second épisode caniculaire que deux morts attribuables à la chaleur.

En 1999, Chicago vécut un autre épisode caniculaire de l’ampleur de celui de juillet 1995, mais les autorités municipales disposaient alors d’un plan d’intervention très complet : communication avec les médias, ouverture de centres de répit, transport gratuit en autobus vers ces centres, appels téléphoniques aux personnes âgées, visites en personnes aux personnes âgées vivant seul. Le bilan fut lourd, on compta 110 morts, mais tout de même une fraction de ce qu’on avait eu à déplorer en 1995.

Pour Klinenberg, il serait injuste de jeter le blâme sur un organisme ou un individu pour ce qui arriva à Chicago en 1995. «La canicule mortelle représente un échec collectif, et la recherche de boucs émissaires, que ce soit le maire, les médias ou les services de santé, ne fait que nous éloigner des vrais problèmes. Nous savons qu’il y aura davantage de canicules, toutes les études sur le réchauffement de la planète le confirment. La seule façon d’éviter d’autres désastres est de s’attaquer à l’isolement, à la pauvreté et à la peur qui prévalent dans tant de nos cités.»

En complément de lecture :

Autopsie d’un été meurtrier à Chicago
par Eric Klinenberg
Le Monde diplomatique, août 1997

(Cet article a précédemment été publié sur un autre blogue le 29 juin 2005.)

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À propos de livres

Il y a quelques jours je me suis replongé dans l’univers de John Dunning avec pour tremplin Booked to Die (publié en français sous le titre Destinataire inconnu chez Calman-Lévy). Publié en 1992, ce roman est le premier d’une série dont le personnage principal est l’inspecteur Cliff Janeway de la brigade des homicides de Denver (Colorado). Policier atypique, Janeway entretient une vive passion pour les livres rares, il les collectionne depuis des années, son appartement en est plein. C’est avec l’assassinat d’un chineur de livres, Bobby Westfall, que débute le récit fort bien mené par Dunning.

Westfall est trouvé mort dans une ruelle aux petites heures de la nuit, le crâne éclaté. Janeway et son collègue Neal Hennessy amorcent l’enquête. Au départ, il semble que le crime s’inscrive dans une série d’assassinats de clochards que les enquêteurs tentent de lier à un certain psychopathe local, mais ils n’ont aucune preuve qu’il y a un lien, seulement une présomption. Quand l’identité de la victime est établie, Janeway se souvient de l’avoir rencontrée à quelques reprises dans des librairies d’occasion et de livres rares. Dunning amène alors son personnage, et nous du même coup, dans une tournée des librairies de Denver et des personnages colorés qui gagnent leur vie de la vente et de l’achat de livres, à la recherche d’indices sur un motif ou un coupable.

Janeway commettra une bévue professionnelle qui mettra un terme à sa carrière de policier et l’exposera à une poursuite judiciaire. Qu’à cela ne tienne, disposant d’une importante collection personnelle, il en fait son fonds de commerce et se convertit en bouquiniste. Je n’ose en dire plus par crainte de gâcher pour vous le dénouement.

Outre la trame du roman qui est complexe, mais tissée serrée, c’est l’immersion dans le monde des livres qui s’avère fort instructive. Livres neufs et usagés, premières éditions signées ou dédicacées par les auteurs, livres de collection, marchands, revendeurs, chineurs et acheteurs avisés nous sont décrits avec grande efficacité par Dunning. Particulièrement éclairants sont les conseils aux chineurs et acheteurs en préface du roman. D’abord, il faut savoir distinguer une édition d’une autre… Toujours acheter le meilleur exemplaire qui soit… À première vue, ne vous laissez pas trop impressionner par le vieux cuir… N’oubliez pas que la valeur à long terme d’un ouvrage récent est, au mieux, sujette à caution… etc., etc. Et aussi, Prenez du plaisir dans votre recherche. Savourez-en les différents aspects. La formule est peut-être éculée, mais achetez ce que vous aimez. Quand on s’y tient, il est difficile de se tromper. Et plus loin, Un livre qu’on aime sur un rayonnage, c’est une vision réconfortante.

Si Dunning maîtrise bien la construction de personnages, son propre parcours est hors du commun. Né à Brooklyn en 1942, il abandonne ses études en dixième année pour cause de trouble de déficit de l’attention (TDA), un problème qui échappait au diagnostic à l’époque et dont on attribuait les symptômes à de la simple étourderie. Il est tour à tour commis chez un vendeur de verre, homme de chevaux, puis commis à la bibliothèque du Denver Post.

Il est promu à la salle de rédaction, puis désigné responsable d’une équipe de trois journalistes d’enquête, et parallèlement se met à l’écriture de récits. Pendant trente ans il collectionne aussi les enregistrements de vieilles émissions de radio et anime vingt-cinq ans sa propre émission de radio sur ce thème. Il fait un saut en politique comme attaché de presse, puis enseigne l’écriture et le journalisme à l’université de Denver. En 1984, avec sa femme Helen, il ouvre sa librairie, Old Algonquin Bookstore, qui fermera dix ans plus tard pour prendre la voie du commerce en ligne. Il se spécialise dans les éditions épuisées, introuvables ailleurs. Étonnamment, son catalogue en ligne ne contient que six de ses propres ouvrages, dont deux traductions en japonais, une en français et une en portugais.

Ce qui étonne aussi c’est la persévérance dont il a dû faire preuve tout au long de son cheminement professionnel en raison de son TDA. Il raconte que bien souvent, il lui fallait huit ou dix heures pour accomplir deux bonnes heures de travail. Remarquable ténacité quand on sait qu’il a, en plus de toutes ses activités, écrit cinq romans de la série Cliff Janeway, trois autres polars, deux romans et deux livres sur l’histoire de la radio entre 1925 et 1976.

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La bombe à retardement de l’intimidation

maisonepicesOn entend souvent parler de l’intimidation et du harcèlement (bullying) auxquels sont soumis des jeunes vulnérables en milieu scolaire. Voici un roman suédois qui a pour thème central ce phénomène, La Maison en pain d’épices, de l’auteure Carin Gerhardsen initialement publié en 2008 sous le titre Pepparkakshuset puis traduit par Charlotte Drake et Céline Bellini et publié aux éditions Fleuve Noir.

Le récit s’amorce en octobre 1968 dans la petite ville industrielle de Katrineholm en Suède, dans une classe de primaire, où le jeune Thomas Karlson et sa copine Katarina sont les éternels souffre-douleurs des autres enfants, tant garçons que filles. Le jeune Thomas, orphelin de mère, ne réussit pas à obtenir la sympathie, à défaut de quoi, l’attention de son père qui a mal à assumer sa responsabilité, ou des autorités scolaires qui tournent l’œil. Les abus physiques à répétition, les injures et l’ostracisme lui dérobent sa confiance en lui, il n’est pas l’ombre des gamins de son âge.

Saut dans l’espace-temps, Hamarby (banlieue de Stockholm), novembre 2006, une retraitée de l’enseignement, Ingrid Olsson, rentre chez elle après un séjour à l’hôpital et découvre avec horreur un inconnu mort dans sa cuisine. L’affaire est confiée au commissaire Conny Sjöberg qui conclut sans hésiter à un assassinat. L’identité de la victime est vite établie, il s’agit de Hans Vannenbetrg, 44 ans, père de trois enfants, originaire de Katrineholm et agent immobilier de son état.

Mais l’enquête piétine jusqu’à la découverte dans les jours qui suivent d’un deuxième, puis d’un troisième cadavre. Les victimes, tout comme la première, sont elles aussi âgées de 44 ans et originaires de Katrineholm. Les liens s’établissent rapidement pour les enquêteurs qui démêleront lentement l’écheveau confus de l’affaire.

En parallèle au récit de l’enquête, le lecteur a droit à un journal intime de la personne qui traque et assassine ceux et celles responsables des abus et du harcèlement subis il y a quatre décennies. Et c’est dans ce journal que la victime entre dans le fin détail de l’intimidation subie et vécue qui, on l’aura compris, justifie son instinct de vengeance.

Seconde intrigue plus distincte que parallèle à l’affaire de Katrineholm, celle de la policière Petra Westman, membre de l’équipe d’enquête, qui tente de reconstituer les événements d’une soirée qui a fort mal tourné pour elle et d’en retrouver le responsable. On le sent, Gerhardsen met la table pour une suite des enquêtes du commissariat d’Hammarby qui nous parviendront au gré des traductions.

GerhardsenC’est le premier roman de Carin Gerhardsen qui raconte en entrevue avoir voulu s’éloigner de l’archétype littéraire du policier enquêteur tourmenté par ses propres démons (à la Wallander). C’est pourquoi son personnage de Conny Sjöberg est à l’image du type bien, père de famille, sympathique et sans trop d’histoires. Bien que le style de Gerhardsen soit efficace, l’auteure ne tient pas à trop approfondir ses personnages, préférant accorder tout l’espace psychologique aux émotions. Pourquoi ce thème de l’intimidation? Elle dit avoir été elle-même victime de harcèlement et avoir tiré bon nombre de scènes du livre de ses propres expériences. Un récit impitoyable, tout comme la réalité de l’intimidation d’enfants par d’autres enfants. Somme toute, de quoi se rappeler les mots de Paul Piché, « Pis les enfants c’est pas vraiment vraiment méchant… au fond, ça peut faire tout c’qu’on leur apprend. »

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Comment jouer avec les chiffres

J’ai relu l’excellent ouvrage de Normand Baillargeon, le « Petit cours d’autodéfense intellectuelle ». Ça s’impose, car on nous balance de gauche et de droite tant de chiffres pour tenter de justifier des décisions qui, disons le, ne tiennent pas la route (ni le rail). Élections, interventions, etc. À preuve, cet extrait sur les jeunes Américains tués ou blessés par armes à feu.

Extrait.

Voici un autre exemple ? Joel Best, auteur d’un superbe ouvrage sur les statistiques , raconte qu’il assiste en 1995 à une soutenance de thèse durant laquelle le candidat invoque le fait que depuis 1950 le nombre de jeunes tués ou blessés par armes à feu, aux États-Unis, double à chaque année. Une référence à une revue savante est citée à l’appui de ce fait. Chacun sait que les États-Unis ont un grave problème avec les armes à feu.

Mais, encore une fois avec pour seul outil l’arithmétique, réfléchissons un peu à ce qui est avancé ici. Posons généreusement qu’un seul enfant a été tué par balle en 1950. On aura donc, selon ce qui est affirmé, 2 enfants morts en 1951, puis 4 en 1952, 8 en 1953… Si vous poursuivez, vous arriverez en 1965 à 32 768 morts , ce qui est très certainement bien plus que le nombre total de morts par homicides (enfants aussi bien qu’adultes) aux États-Unis durant toute l’année 1965.

En 1980, on aurait en gros un milliard d’enfants tués, soit plus de quatre fois la population du pays. En 1987, le nombre d’enfant morts par armes à feu aux États-Unis dépasserait ce qui constitue, selon les meilleures estimations disponibles, le nombre total d’êtres humains qui ont vécu sur la terre depuis que notre espèce y est apparue! En 1995, le nombre auquel on aboutit est si énorme qu’on ne rencontre de pareils chiffres qu’en astronomie ou en économie.

 

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